Du père réel
janvier 2009
THÉORIE
L’hystérie, masculine. Balbino Bautista
Malgré les coups tordus des lobbies pharmaceutiques internationaux et l’idéologie anglo-saxonne de l’homme économique qui rêve de réduire à rien la pratique psychanalytique, l’actualité de l’hystérie ne se dément pas si l’hystérie reste ce qu’elle est depuis qu’on sait la reconnaître, une objection majeure à ce qui peut s’entendre comme « perversion ordinaire », soit l’effet même de ce que Jacques Lacan désigne sous le nom de « structure du sujet ». En tant que discours, l’hystérie oscille entre science et religion, art et révolution. Qu’elle fasse valoir le » sujet » est un fait, un « dire » qui autorisera qu’on réexamine avec Lacan la condition qu’elle pose à l’advenue du « Discours de l’Analyste ». Freud échoue là où Lacan passera. C’est en se faisant « analysant » qu’on dégagera ici les coordonnées de cette problématique.
Les deux rêves de Dora : « Y a le feu au lac ! » Alain Lacombe
Les dernières lignes de l’exposé du cas, nous rappelle A. Lacombe, sont consacrées, par Freud, à mentionner un point de sa propre insatisfaction (ne pas avoir débarrassé plus radicalement Dora de son mal), et à souligner un élément d’opposition entre les deux rêves de Dora (retour vers le père pour le premier, détachement du père pour le second). Relisant ces deux rêves, A. Lacombe opère, de manière singulière, à partir d’une distinction entre « réalisation de désir » (comme réalisation d’un sens, au lieu de l’Autre, avec ce que cela comporte de reste, non réalisé) et « accomplissement de désir » (qui s’en tiendrait à la dimension de l’acte, du côté du sujet). Cet angle de la réalisation, et son versant de non réalisé, ouvre des perspectives nouvelles, notamment sur la répétition du rêve dans la cure, sur la question de Dora telle qu’elle ne cesse de la poser (avec ce petit point d’interrogation sur lequel nous interpelle l’auteur, ultérieurement ajouté par Dora à un énoncé du deuxième rêve), enfin, sur la dimension de la hâte, reliée par l’auteur au « pas d’acte sexuel », au refus du deux du couple, au statut de l’angoisse dans le second rêve, celui dont Freud, précisément, n’a pas pu réaliser l’interprétation. Ce balayage inédit, qui trace comme un nuage de points entre les éléments connus des deux rêves de Dora, s’achève sur l’hypothèse d’un nouage entre la question, non élucidée, du désir que le second rêve réalise, et l’insatisfaction de Freud.
Explorer ce système de nulle part… Sophie Mendelsohn
La topologie dans l’enseignement de Lacan dans la décennie soixante-dix est plus qu’un support métaphorique, elle devient « un dire de structure », dit S. Mendelsohn.
Pour que la topologie puisse toucher au réel dont elle se motive alors pour Lacan, elle s’oriente sur le dire comme ce qui fait événement de structure, et qui en constitue le réel.
Elle cite Érik Porge (2008), qui considère la coupure comme étant une opération qui concerne conjointement l’inconscient et l’analyste et dont il fait précisément un des fondements de la clinique psychanalytique. Si le signifiant est coupure, alors ce que l’on entend par sujet de l’inconscient en est affecté, puisque si l’abord de l’inconscient structuré comme un langage est modifié, il reste que le sujet de l’inconscient est sujet du signifiant – mais du signifiant comme coupure. Comment l’analyste se trouve-t-il inclus dans le réel de l’inconscient? En effet, si l’interprétation se produit en fonction de l’équivoque qui se réalise du fait de l’équivalence matérielle du signifiant, alors « ce qui s’écoute » existe du fait du tranchement. Ainsi adossée à la coupure dont la topologie permet la « réélisation », la théorie psychanalytique se rend en quelque sorte étrangère à la connaissance pour devenir un moment du devenir du sujet de l’inconscient. Plutôt que d’un savoir référentiel, toujours susceptible de reconvoquer les idéaux qu’il aura peut-être commencé par écarter, il s’agirait donc d’un savoir textuel au sens où l’on a vu Lacan parler de matérialité du signifiant : c’est de la trame du texte dont on parle ici, qui produit moins du sens que des effets de sens, tissant on ne sait quelle surprise équivoquante.
Tot : la mort du père, à la lettre. Freud lecteur de Dostoïevski. Sandra Beosin
L’auteur revient sur l’essai « Dostoïevski et la mise à mort du père » (« Dostoïevski und die Vatertötung ») afin d’interroger son inscription dans la lettre et l’œuvre freudienne. La construction réalisée par Freud, dans cette introduction au roman Les frères Karamazov, autour de la racine « tot », conduit à la rapprocher de deux autres textes que sont Totem et tabou et L’homme Moïse et le monothéisme. L’examen de ce travail de nomination du psychisme nous enseigne sur la conception freudienne du renoncement au religieux.
Fabriquer la femme qui n’existe pas. Catherine Bruno
A partir du constat, révélé par les mythes antiques, que les hommes ont toujours cherché à fabriquer « La femme qui n’existe pas », C. Bruno explore– faisant se répondre la littérature fantastique, et certains textes de Freud – le désir présidant au rêve d’une femme artificielle. Première découverte, la perfection féminine se réalise, pour l’homme, dans une femme morte ; deuxième dimension, la poupée vient incarner le lien au double ; « la femme artificielle est donc une figure de la femme morte, mais en tant que double qui ne jouit pas ». Tirant les conséquences du trait de la virginité marquant la femme artificielle, C.Bruno sépare finement deux figures que l’on pourrait confondre, d’un côté celle de la femme morte du fantasme masculin qui a pour fonction de contourner la castration, de l’autre celle de la femme (bien vivante) qui apporte la mort et introduit à la castration. De même, elle souligne la différence fondamentale entre la poupée gonflable, pur objet sexuel, et la real doll, partenaire de vie idéale mais inapte au sexe, dont le nombre croissant de propriétaires soulève une question de société, qui n’est pas sans activer dans l’actualité un sentiment d’inquiétante étrangeté.
LE CAS
Une névrose sans symptôme ? Isabelle Morin
Hélène Deutsch présente un cas qu’elle nomme hystérie de destinée, comme contribution au diagnostic d’une nouvelle forme d’hystérie. Elle considère en effet ce cas comme une hystérie « qui ne présente pas de symptôme ». Or il n’y a pas plus de sujet sans symptôme que d’humain sans colonne vertébrale. L’analyse de ce cas montre à quel point H Deutsch reste prise dans le diagnostic de Freud la concernant, qui ne portait pas sur un sujet sans symptôme, mais sur « l’absence de symptôme », que l’analyse n’avait pas permis de faire émerger. Relire H Deutsch, quelques décennies plus tard, nous permet de mesurer ce que nous a apporté l’enseignement de Lacan quand il ouvre la voie d’une direction de cure qui ne tente pas une quelconque pacification par le Nom-Du-Père, mais au contraire qui vise un réel à travers le symptôme.
LA PASSE
L’ignorance entre pensée et passe. Panos Papatheodorou
La question de l’entrée en analyse se pose dans l’après coup du témoignage de Passe. Il s’agit d’un témoignage personnel sur le moment du choix qui conduit à s’adresser au dispositif de la passe, traitant la question de l’entrée en analyse à travers l’ignorance et l’oubli. Un rêve d’angoisse sert de fil conducteur pour marquer l’ignorance constitutive de l’entrée en analyse. Cette ignorance, comme passion de l’être, prend un autre biais qui ouvre la voie vers le désir de l’analyste à partir du moment où il y a rencontre avec le réel de la jouissance. Les fragments de savoir qui ont constitué des points cruciaux dans l’expérience du témoignage renvoient à cette ignorance qui précéda l’entrée en analyse. Ce qui change est le rapport de la jouissance à la vérité.
FREUD
Hystérie
Il s’agit de la traduction d’un article sur l’hystérie paru à Vienne en 1888 dans un manuel de médecine, le Handwörterbuch der gesamten Medizin, édité sous la direction du Docteur A. Villaret. Freud avait alors 32 ans. Ce texte témoigne du moment où Freud passe de la neurologie à la psychanalyse. Le traitement cathartique y est décrit et attribué à Breuer. Des éléments du travail différenciant les paralysies organiques et hystériques, publié en 1893, apparaissent dans des termes identiques. Le terme « inconscient » apparaît dans son acception psychanalytique.
EXTÉRIEURS
L’hétéronymie de Fernando Pessoa. « Personne et tant d’êtres à la fois ». Filomena Iooss
« L’hétéronymie de Fernando Pessoa » présente le grand intérêt de nous plonger dans l’œuvre de « cet énigmatique poète portugais », tout en révélant combien les problématiques émergeant de ses textes (« le Moi, la Conscience, la Solitude ») croisent celles de notre champ. Dans ce balancement entre poésie et psychanalyse, l’auteure nous rend vivant le surgissement des hétéronymes principaux de Pessoa, qu’elle propose de lire comme tentative, paradoxale, de recherche par le poète de son unité perdue, après un « effondrement subjectif » survenu dans son histoire. De même, F. Iooss lie des fragments de textes érotiques et amoureux, énoncés sous la plume d’hétéronymes (dont un féminin), à des questions relevant de la subjectivité du poète lui-même, telles que la frigidité masculine, la négation de l’amour, l’homosexualité, ou le genre neutre (ni homme ni femme) « qui fait certainement fantasmer Pessoa en tant que solution au tragique né de la différence des sexes ».
Le corps n’est pas ce que l’on croit. Pierre Bruno
L’auteur distingue “j’ai un corps” et “je suis un corps” pour aborder l’œuvre du vidéaste portugais Vasco Araujo et particulièrement sa pièce “Far de donna”. A partir de “je suis un corps” en effet, le rapport au corps ne se réduit plus à l’image du corps, mais appréhende celui-ci sans faire l’impasse ni sur les objets qui ne le déterminent qu’en étant prélevés sur lui, notamment la voix et le regard, ni sur sa dimension temporelle qui commence, avant la naissance, dans le mystérieux désir des parents, et se poursuit après la mort dans le rituel de la sépulture.
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